Selon l’agence de presse Jamaran, suite aux efforts des oulémas et du clergé de Qom et de Téhéran pour localiser le lieu d'exil et de résidence de l'Imam Khomeini et pour lui assurer des conditions de vie confortables, Hadj Seyyed Fazlollah Khansari (gendre de l'Ayatollah Khansari) fut finalement envoyé à Istanbul en tant que représentant du clergé. L'Imam Khomeini fut amené de son lieu d'exil à Bursa jusqu'à Istanbul, où plusieurs rencontres eurent lieu entre l'Imam et M. Khansari du 30 Azar au 3 Dey 1343 (21-24 décembre 1964). Lors de ces rencontres, tout en s'informant de la situation générale en Iran, l'Imam exprima son inquiétude concernant la pauvreté et le dénuement d'une partie de la population, particulièrement pendant l'hiver rigoureux. Le 3 Dey, l'Imam fut de nouveau transféré d'Istanbul à Bursa. À l'occasion de ce 3 Dey, jour du transfert de l'Imam d'Istanbul à Bursa, voici un résumé des activités de l'Imam en Turquie :
Selon le régime du Shah, l'hôtel Boulevard Palace n'était pas un endroit sûr pour tenir l'Imam éloigné de la politique intérieure iranienne, car il était situé au centre-ville et facilement accessible aux journalistes persistants. Ainsi, pour dissimuler les motivations inhumaines de l'exil, l'Imam fut transféré dans l'un des bâtiments secondaires de la rue Atatürk. La première initiative de l'Imam après son exil en Turquie fut d'apprendre le turc, le temps libre de l'exil le lui permettant. La rapidité de son apprentissage inquiéta les agents responsables de son transfert, craignant que cette maîtrise de la langue ne facilite une communication étendue avec la population. Le Colonel Afzali en informa immédiatement Téhéran : "Il ne faut pas le laisser seul."
Ils ignoraient que la tactique du changement de résidence, bien qu'elle puisse entraver les contacts politiques de l'Imam, ne pouvait l'empêcher d'apprendre la langue ou d'écrire des livres. Cette inquiétude s'intensifia lorsque l'Imam refusa de se comporter comme un prisonnier en exil et demanda régulièrement à visiter les rues et les sites touristiques de la ville, préoccupant ainsi les deux régimes, turc et iranien. Bien qu'on ne lui ait jamais permis de visiter les attractions de la ville, ils ne purent l'empêcher de se rendre sur la tombe des quarante savants martyrs exécutés par Atatürk.
Une autre tactique des deux régimes pour briser l'esprit inébranlable de l'Imam consistait à créer divers obstacles et tracasseries, notamment concernant le port des vêtements religieux ; mais cette stratégie échoua également face à sa patience et sa résistance. Pour compléter la première tactique, le régime désigna une nouvelle destination pour l'Imam à Bursa, située à 460 kilomètres à l'ouest d'Ankara, au bord de la mer de Marmara. Ce nouveau changement de lieu d'exil visait à couper complètement les liens entre le peuple turc et l'Imam. Ces restrictions ne pouvaient ni augmenter la pression psychologique sur l'Imam ni l'empêcher d'apprendre. Ces jours difficiles étaient occupés par la récitation du Coran, la prière, l'apprentissage du turc et l'écriture de livres.
La stratégie du changement de référence religieuse du peuple
La tactique suivante du régime du Shah fut de décider d'envoyer la famille de l'Imam en Turquie, espérant ainsi couper complètement les rares liens entre l'Imam et ses fidèles, le clergé et ses partisans, pour les orienter vers une autre source d'émulation religieuse. Plus tard, feu Hadj Mostafa raconta à ce sujet : "Après mon exil en Turquie, quand l'Imam me vit, il me demanda : 'Es-tu venu de ton propre chef ou t'ont-ils fait venir ?' Quand je lui répondis qu'on m'avait fait venir, il dit : 'Si tu étais venu de toi-même, je t'aurais renvoyé sur-le-champ.'"
Face à cette tactique, l'Imam réagit avec perspicacité en envoyant d'abord un télégramme à Hadj Mostafa Khomeini pour informer sa famille de sa bonne santé et demander qu'on lui envoie ses effets personnels, notamment ses livres Mafatih, Sahife Sajjadiya, Makaseb, Wasilat al-Najat et ses annotations, ainsi que d'autres commentaires. Sur la base de ce qu'il reçut, il entreprit dans les mois suivants la rédaction de son précieux ouvrage "Tahrir al-Wasilah", où il aborda les questions politiques et sociales de l'Islam aux côtés des questions cultuelles, s'opposant ainsi au slogan occidental et non-islamique de la "séparation de la religion et de la politique". Cet ouvrage devint plus tard le fondement de la République islamique basée sur le principe du Velayat-e faqih.
Ce qui est certain, c'est que ce livre est l'une des œuvres durables de l'Imam et est considéré comme un ouvrage de référence dans la jurisprudence contemporaine, possédant de nombreuses caractéristiques et avantages qu'on trouve rarement dans d'autres livres de fatwas. Parmi ses principales caractéristiques, on peut citer sa couverture complète des principaux chapitres de la jurisprudence nécessaires, accompagnée de discussions jurisprudentielles modernes, tout en évitant les cas rares. Contrairement à certains ouvrages de fatwas existants, Tahrir al-Wasilah a des racines profondes dans la jurisprudence chiite et, à travers "Wasilat al-Najat" et d'autres livres, il intègre de nombreux points précis et mûrement réfléchis de ces œuvres.
Après la rédaction de cet ouvrage, d'autres oulémas, même ceux de Najaf, suivirent l'exemple de l'Imam en incluant des questions politiques aux côtés des questions rituelles dans leurs traités ; et l'Imam développa plus tard, pendant son exil en Irak, le concept fondamental du Velayat-e faqih et du gouvernement islamique.
Ce qui augmentait l'inquiétude des oulémas et des partisans de l'Imam durant cette période était le manque d'informations suffisantes sur les conditions de son exil et son état de santé. Pour apaiser ces inquiétudes, une réunion fut organisée avec Hadj Mirza Ahmad Ashtiani, Hadj Seyyed Ahmad Khansari, et le ministre de la Cour, Qods Nakhaei. Il fut décidé que Seyyed Fazlollah Khansari rendrait visite à l'Imam pour s'enquérir de sa condition physique et de ses conditions de vie, afin d'en faire rapport aux oulémas de Qom, Najaf, Isfahan et Téhéran, et ainsi rassurer le peuple iranien. Cette rencontre, sur ordre du régime, eut lieu le 30 Azar 1343 (21 décembre 1964) dans un lieu inconnu à Istanbul, différent du lieu d'exil de l'Imam. Cette tactique du régime du Shah visait à empêcher l'émissaire de constater les conditions de vie inappropriées de l'Imam, de peur que l'information ne parvienne aux oulémas et au peuple !
Hadj Mostafa raconte dans ses mémoires de cette période : "Quand je suis arrivé auprès de l'Imam, sa situation alimentaire était telle que s'il avait fallu attendre plus longtemps, il serait tombé malade. Il mangeait tout ce qu'on lui apportait sans sourciller et, fidèle à son caractère, ne demandait jamais ses plats préférés." Compte tenu de son âge et du changement de climat, on peut imaginer ce que l'Imam endurait. Les rencontres ultérieures avec d'autres délégués ne révélèrent pas non plus les difficultés de son exil ; même lors des rencontres avec les représentants de M. Golpayegani (Cheikh Mohammad Ali Safaei et Seyyed Mehdi Golpayegani) à Istanbul, la situation resta dissimulée ! Cependant, les indices révélaient la gravité de la situation, et la présence de l'Imam vêtu des habits des religieux turcs lors de ces rencontres était révélatrice des conditions de son exil.
Le moment était venu pour le régime d'admettre que ses tactiques pour contenir le pouvoir religieux et politique de l'Imam Khomeini étaient inefficaces, et qu'en dépit de toutes les pressions diplomatiques inhabituelles pour briser le moral de l'Imam, il renforçait involontairement les fondements d'un mouvement dont le leader continuait à planifier et diriger même dans les conditions d'exil les plus strictes. Un leader toujours satisfait des conditions, qui ne se plaignait pas de son exil et restait indifférent aux souffrances dans la poursuite de son mouvement et de son soulèvement divin.
La neutralisation des tactiques du régime par l'Imam eut un résultat très positif : le mouvement se renforçait progressivement et les voix de contestation contre le régime devenaient plus ouvertes. La tactique des changements constants de lieu d'exil (même jusqu'à Najaf, dans l'espoir de le voir se dissoudre dans l'immense océan des sciences religieuses et de la jurisprudence) produisit l'effet inverse, et la lutte prit progressivement de l'ampleur.
Sur le plan international, l'opposition s'intensifia également, avec des protestations des représentants alaouites et des forces islamiques au parlement turc contre l'exil de l'Imam. Dans les médias turcs, des articles virulents et critiques furent publiés contre le gouvernement turc. Finalement, le gouvernement turc céda aux pressions et demanda au régime iranien de transférer l'exilé dans un autre pays. La Turquie envoya un message au gouvernement iranien demandant le transfert de l'Imam hors de son territoire.
La question de l'exil de l'Imam fut également portée devant les instances internationales. Des personnalités internationales et des unions d'étudiants militants à l'étranger adressèrent des lettres et télégrammes aux organisations internationales, notamment la Commission des droits de l'homme, Amnesty International et personnellement au Secrétaire général des Nations Unies, pour protester contre les conditions déplorables des prisonniers dans le pays et particulièrement contre l'exil de l'Imam. Le Secrétaire général des Nations Unies écrivit au gouvernement iranien en exigeant des explications satisfaisantes sur ces actions.
Hamid Ansari écrit dans son livre "Hadith-e Bidari" (Le Récit du Réveil) que le régime du Shah pensait que l'atmosphère calme et apolitique qui régnait alors dans le séminaire de Najaf et la situation du régime au pouvoir à Bagdad constitueraient un obstacle majeur pour limiter les activités de l'Imam Khomeini. Le régime du Shah mit en œuvre sa tactique suivante : pour échapper à la pression de l'opinion publique et empêcher l'intensification de la lutte, il transféra l'Imam en Irak.
Les médias affiliés au bloc de l'Est, du fait que l'Imam avait initié un mouvement de protestation contre les États-Unis et la restauration de la capitulation en Iran, prirent dans une certaine mesure le parti de la justice. Les étudiants iraniens à l'étranger suivaient également la question de l'exil de l'Imam en préparant des pétitions et en les envoyant à l'ambassade de Turquie.
La radio "Voix Nationale de l'Iran" qualifia l'exil de l'Imam en Turquie de "grande honte" et déclara : "On ne peut attendre un tel acte que des dirigeants du régime du coup d'État ; ils doivent assumer la responsabilité de cette action scandaleuse." Cette action était honteuse à deux égards : d'abord, l'insulte faite à l'une des sources d'émulation ayant une responsabilité générale et son exil forcé d'Iran sans preuve de délit ! Ensuite, la remise d'un Ayatollah, c'est-à-dire d'un Iranien respectable, à une police étrangère pour surveiller les actes et comportements de notre compatriote religieux.
Les étudiants iraniens résidant en Turquie suivirent également le sort de l'Imam Khomeini à travers des lettres, des pétitions et des rassemblements devant l'ambassade d'Iran en Turquie. Ils déployèrent de nombreux efforts pour localiser le lieu exact de l'exil et en prendre des photos pour les envoyer à la Confédération des étudiants iraniens, espérant pouvoir transmettre un message ou obtenir une rencontre pour en informer les Nations Unies.
Le 19 Aban 1343 (10 novembre 1964), les étudiants iraniens résidant aux États-Unis se rassemblèrent à la mosquée musulmane de leur ville pour protester contre l'exil de l'Imam Khomeini. Ils envoyèrent des télégrammes de protestation aux autorités mondiales et au gouvernement turc. Le 23 Azar 1343 (14 décembre 1964), ils publièrent une déclaration dénonçant l'aide financière américaine au régime dictatorial iranien, l'exil de l'Imam et la répression régnant en Iran.
Lors du huitième congrès de l'Union internationale, les étudiants adressèrent une lettre au Secrétaire général des Nations Unies, déclarant que l'exil de l'Imam Khomeini était un "signe flagrant" d'impudence et de mépris des droits de l'homme, lui demandant de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le retour de l'Ayatollah Khomeini en Iran, sous condition de garanties suffisantes pour sa sécurité.
Simultanément, des manifestations de protestation d'étudiants iraniens eurent lieu en Europe, et la Fédération des étudiants iraniens en Turquie manifesta devant le consulat impérial à Istanbul. Le gouvernement turc, craignant des incidents ultérieurs et une crise intérieure en cas de préjudice causé à l'Imam sur son territoire, fit pression sur le Shah pour qu'il mette en œuvre sa tactique finale concernant le changement du lieu d'exil de l'Imam. Ne trouvant pas de réponse claire à la question "La Turquie est-elle une prison pour les militants iraniens ?", et sous la pression de l'opinion publique, ils souhaitaient résoudre rapidement la question de l'exil de l'Imam Khomeini et de Hadj Agha Mostafa.
En conséquence, Mohammad Reza Pahlavi annonça dans un message oral à l'Ayatollah Ahmad Khansari, transmis par Jafar Sharif Emami le 17 Shahrivar 1344 (8 septembre 1965), qu'il enverrait Khomeini en Irak ! L'examen des actions étendues des militants, étudiants, citoyens, religieux, oulémas et personnalités politiques influentes à l'intérieur du pays dépasse le cadre de cette note.
La ville de Bursa
Bursa est une ville ancienne et la première capitale de l'Empire ottoman, où les empereurs de cette dynastie ont laissé un ensemble d'écoles, de mosquées, de mausolées et de monuments historiques. Cette ville est située dans la partie sud de la région de Marmara en Turquie, à 460 kilomètres d'Ankara, et est la quatrième plus grande ville de Turquie. La Bursa d'aujourd'hui est une ville moderne et un centre majeur d'investissement industriel, commercial, culturel et touristique ; néanmoins, Bursa a conservé dans une certaine mesure son atmosphère et son esprit traditionnels, occupant une position privilégiée parmi les villes de Turquie.