La réponse du Coran aux caricatures

La réponse du Coran aux caricatures

Il faut rappeler ce que dit le Coran, le livre saint de l'islam, pour désarmer le terrorisme, particulièrement en ce 13 novembre, jour de commémoration des attentats de 2015.

Pour Marwan Sinaceur Professeur de psychologie sociale à l’ESSEC, de religion musulmane, spécialiste de la résolution des conflits et de la culture arabe: 

Les attentats terroristes qui frappent et endeuillent la France et l’Autriche font ressurgir le débat sur les caricatures de Mahomet, Prophète de l’islam. Dans ce débat, de multiples voix s’expriment, de tout angle de vue. Mais un point de vue manque singulièrement: celui du Coran. Ce point de vue est crucial pour défaire l’idéologie extrémiste qui se réclame de la religion. Il faut rappeler ce que dit le Coran pour désarmer le terrorisme, comme l’apologie du terrorisme. Que des adolescents se soient réjouis du meurtre abject de Samuel Paty témoigne de l’urgence de cette mise au point. Que cela se passe cinq ans après les meurtres abjects des journalistes de Charlie Hebdo, après les effroyables attentats du 13 Novembre, après tant d’attentats terroristes à Paris, Nice, et ailleurs, rend cette mise au point sur ce que dit le Coran encore plus primordiale.

Des caricatures blessantes pour les musulmans
Pour beaucoup de musulmans, les caricatures du Prophète sont insultantes, blessantes, vulgaires, ou mettent mal à l’aise. Elles représentent une attaque contre la personne sainte du Prophète, une accusation mensongère (puisqu’elles véhiculent des images de barbarie, pornographie, ou violence), et peuvent être prises comme une attaque contre l’islam même.

Comment donc doit-on répondre aux caricatures quand on est musulman? Ce que dit le Coran, livre saint de l’islam, apporte des réponses claires. Il suffit de prendre la peine de le lire.

Le Coran met d’abord une limite à la tentation de se venger d’une offense. La loi du talion y est permise, mais à condition qu’elle soit strictement proportionnelle au dommage causé: “Quand quelqu’un vous agresse, usez de réciprocité en proportion du dommage causé.” (Coran, 2.194). Toute réaction disproportionnée est condamnable (Coran, 2.178; 2.194). Aucune offense verbale ou écrite, insulte ou caricature, ne saurait donc justifier un appel à la violence et au meurtre, ni même au boycott des produits d’un pays. La logique est implacable: œil pour œil, dent pour dent pourrait se décliner à propos des caricatures du prophète par une réponse… sous forme de caricatures.


Celui qui sur-réagit devient l’agresseur
Mais le Coran s’empresse d’ajouter que pardonner est mieux qu’exercer la loi du talion: la loi du talion est un droit, mais, quelle que soit l’offense, l’offensé s’élève moralement à ne pas demander réparation (Coran, 5.45; 16.126; 42.40). Le Coran dit: “Si vous devez exercer des représailles, que cela soit à la mesure de l’offense subie, mais si vous pardonnez, cela vaudra mieux pour ceux qui sont capables de se dominer.” (16.126). Et encore: “Quiconque renonce par charité à la loi du talion obtiendra la rémission de ses péchés.” (Coran, 5.45.). Ce message fait écho à celui de Jésus dans l’Évangile (Mathieu, 6.12; 18.32-33): le pardon vaut mieux que la réciprocité, car quiconque voudra demander le pardon de Dieu doit d’abord pardonner à autrui (Coran, 3.134; 42.37; 45.14). Le Coran résume ainsi ce que doit être la réponse à une offense: “La riposte doit être égale à l’offense subie, et que celui qui pardonne et se montre conciliant trouvera sa récompense auprès du Seigneur, car Dieu n’aime pas les agresseurs.” (42.39-40). La conclusion du Coran est sans appel: celui qui sur-réagit devient l’agresseur.

 

"Dis-leur: 'Libre à vous de vous moquer!'", précise le Coran (9.64).

En cas de différends ou polémiques avec autrui concernant la religion, l’homme ne doit pas chercher à se faire justice lui-même ni à imposer sa vision à autrui (Coran, 6.164; 22.67-69; 39.46; 45.17). Le Coran le dit explicitement, c’est à Dieu qu’il reviendra de trancher, et Il le fera dans l’autre monde, pas dans ce monde: “Il tranchera, au Jour du Jugement dernier, vos différends.” (22.69; voir aussi 3.55; 59.23). On s’est moqué souvent des Prophètes, et la réponse des Prophètes est de ne pas réagir et de s’en remettre au jugement de Dieu dans la vie future; c’est le cas de Noé, par exemple (Coran, 11.38). Face à la moquerie ou au blasphème, le Coran recommande donc la patience, de ne pas réagir, et de s’en remettre simplement au jugement de Dieu dans la vie future (2.212; 9.64). “Dis-leur: ‘Libre à vous de vous moquer!’”, précise le Coran (9.64).

Le Coran recommande explicitement de ne pas se disputer avec autrui quand celui-ci se moque de la religion musulmane: “Il est inutile de nous disputer” puisque c’est Dieu qui tranchera au final (42.15). Quand un(e) musulman(e) entend un discours contraire à sa religion, il doit “se détourner, en disant: ‘À nous notre manière d’agir, et à vous la vôtre! Que la paix soit avec vous!” (Coran, 28.55). Et encore: “Lorsque tu vois ceux qui dénigrent Nos versets, évite de te mêler à eux, jusqu’à ce qu’ils changent de sujet.” (Coran, 6.68). Le message est clair: éviter la confrontation, éviter la polémique lorsque certains dénigrent ou se moquent du Coran. Et, ce faisant, conserver une attitude conciliante, sans réponse violente ni même verbale (7.199). C’est Dieu qui se chargera de juger chaque individu pour sa croyance –ainsi que pour le bien ou le mal qu’il aura fait. Si cela s’applique au Coran, livre saint de l’islam, cela s’applique, a fortiori, à une caricature du Prophète, même insultante ou vulgaire. De manière générale, le Coran recommande l’humilité et la bienveillance, y compris par rapport aux non-croyants (7.199; 25.63). Par exemple: “Les serviteurs du Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement sur la terre, ceux qui répondent avec douceur aux non-croyants qui les interpellent” (Coran, 25.63). Comme la psychologie le suggère, il vaut mieux ne pas accorder trop d’importance à l’insulte ni lui offrir une caisse de résonance (Watzlawick et al., Une logique de la communication).

Chacun a la liberté de croire en ce qu’il ou elle veut, en son âme et conscience. Il ne s’agit pas pour les croyants ou croyantes de contrôler les pensées d’autrui, mais de faire l’effort soi-même, individuellement, d’atteindre la foi. La logique est simple: chacun est responsable de sa croyance, pas de celle d’autrui. Autrement dit, le refus d’engager des polémiques concernant la religion procède de la responsabilité individuelle de chacun (Coran, 6.164). Ainsi, dans toute discussion concernant la religion on doit faire preuve de modération (Coran, 16.125.). On ne peut forcer quelqu’un à croire. Même le Prophète de l’islam ne pouvait convaincre ceux ou celles qui ne souhaitaient pas entendre son message, le for intérieur reste du domaine de l’intime (Coran, 28.56; 46.23). Et, personne ne peut tout savoir, seul Dieu sait tout (Coran, 18.22). Il faut donc accepter de ne pas vouloir avoir raison contre autrui et chercher soi-même, de manière continuelle, son chemin spirituel.

 

Le Coran recommande l’humilité et la bienveillance, y compris par rapport aux non-croyants.

De fait, le Coran insiste explicitement sur la responsabilité morale individuelle de chaque homme ou femme: chacun doit assumer la moralité de ses actes individuellement, et nul ne pourra se prévaloir des injonctions d’autrui pour échapper à la moralité de ses propres actes (Coran, 2.48; 17.13, 15; 19.95; 75.13-15; 82.19). Par exemple: “Nous avons rendu tout être humain responsable de sa destinée” (Coran, 17.13). Suivre l’avis ou le précepte d’autrui ne dédouane pas de sa propre responsabilité morale (Coran, 6.164). Cela implique de ne pas céder aux émotions collectives et de faire preuve de retenue individuelle.

Croire en Dieu est considéré comme crucial dans l’islam, mais, ce n’est pas à l’homme de se faire justicier en place et lieu de Dieu. Vouloir convaincre autrui à propos de la religion y est vu comme “futile” (Coran, 43.83). Certes, on peut apporter le message divin, mais le receveur du message exerce sa pleine responsabilité individuelle à juger de ce message et à décider de le suivre ou non; chacun est responsable pour soi-même (par exemple, Coran, 6.69).

Proximité entre l’islam et les deux autres monothéismes
Comme l’a montré Hannah Arendt (La crise de la culture, chap. 2), le monothéisme présuppose un sujet responsable individuellement puisque chacun sera jugé pour ses propres actes dans l’autre monde. L’islam ne fait pas exception, et la proximité culturelle entre l’islam et les deux autres monothéismes est plus forte qu’on ne le croit.

C’est donc à chacun d’exercer son jugement sur le chemin vers une plus grande maîtrise, vers une plus grande moralité. La lutte pour être une meilleure personne est un combat de tous les instants. On ne peut être responsable pour autrui –des agissements ou des croyances d’autrui, certainement pas de ses insultes–, mais on peut être responsable de soi –de ses agissements et de ses croyances, de sa réaction face aux insultes. C’est là l’un des sens profonds du Coran. Un message qui n’est pas sans rappeler les philosophies humanistes du Judaïsme, du Christianisme, ou des stoïciens.

Les caricatures du Prophète sont insultantes. Face à une insulte ou une offense, le Coran recommande la maîtrise de soi. Ni surenchère. Ni polémique. Ni violence.

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